Ao Yem, la troublante poésie d’un carré de tissu

Ao Yem, la troublante poésie d’un carré de tissu

On ne présente plus l’Ao Dai, le ravissant costume de la femme vietnamienne, mais connaissez-vous l’Ao Yêm ? Cette modeste pièce de tissu fait partie de la garde-robe des Vietnamiennes depuis des centaines d’années, fidèle compagnon de la grâce féminine. Cela ne vous dit rien ?

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Origines de l’Ao Yêm

Traduit par camisole, corsage, brassière ou soutien-gorge, l’ao yêm est un peu tout cela à la fois : sous-vêtement et chemise d’été, il voile une face et révèle l’autre, dans une troublante pudeur.

ao-yem_vieille-photoOn ne pas vraiment de quand date exactement l’ao yêm, mais il semblerait que les premiers vestiges figurent sur des objets archéologiques datant de la culture Dông Son (7ème siècle av. J-C. – 2 ème siècle apr. J-C.). Notamment des sculptures représentant des femmes portant ce qui s’apparente à un yêm, sculpture trouvée sur des manches de couteaux et des poignées d’épées ainsi que sur des motifs ornant des tambours de bronze. Il est dit qu’au temps des rois Hung, fondateurs du pays (3 ème siècle av. J-C. – Ier siècle apr.J-C.), le yêm était étroitement lié à la vie des Vietnamiennes, quelle que soit leur provenance sociales. Contrairement à d’autres vêtements portés dans le Vietnam féodal, femmes de la cour ou femmes dans les rizières, toutes portaient l’ao yêm. Il était également largement utilisé dans les fêtes traditionnelles (et l’est encore aujourd’hui). Selon les croyances traditionnelles vietnamiennes, une femme belle est celle qui a une taille de guêpe (mise en valeur par l’ao yêm). Les anciens vietnamiens croient que ces femmes ont non seulement une jolie silhouette, mais aussi toutes les vertus d'une femme et d'une mère. N’est-il pas dit : « Les femmes avec des tailles de guêpe sont intelligentes l'après-midi pour élever des enfants ».

Ce cache-sein a connu de nombreuses évolutions au fil du temps – sans pour autant changer radicalement - mais il est indéniable d’affirmer qu’avec l’ao dài, l’ao yêm a contribué à enrichir et à embellir et la garde-robe des Vietnamiennes et le patrimoine vestimentaire du Vietnam.

Le yêm est apparu il y a longtemps dans la vie des femmes vivant dans l'ancienne région de Kinh Bac (capitale du Nord), mais ce n'est que sous la dynastie des Ly (12 ème siècle) qu'il a été considéré comme un sous-vêtement à part entière. Le Nord connait des étés chauds, le yêm fait office de chemise sans bouton, mais en hiver, les vents de nord-est poussent le yêm à se faire sous-vêtement chaud.  Si au fil des ans, son design a été modifié pour afficher plus ou moins de valeurs esthétiques, il a gardé jusque sous les Ly sa forme en V, avec toujours 4 lacets – deux en haut pour les nouer derrière la nuque et deux en bas, pour les nouer dans le dos. Les grands changements n’interviendront qu’au 19 ème siècle, alors que les pantalons et les jupes occidentaux entrent au Vietnam, bousculant les codes vestimentaires traditionnels. Le yêm se decline sous 3 formes : ao yem co xay (reconnaissable à son col rond), ao yem co xe avec son col en V et ao yem co canh nhan, en col d’hirondelle. Il faut également mentionner l’ao yem deo dua, qui avait une petite poche de musc. Porté comme un « talisman », il apparait dans de nombreuses histoires d'amour vietnamiennes.

Ao yem, une tenue simple mais émouvante

La forme de l’ao yêm est on ne peut plus simple : un carré de tissu de 40 cm, porté en oblique sur la poitrine et couvrant le buste jusqu’au ventre. A partir du 19ème siècle, la pointe supérieure a été découpée en arrondi pour mieux épouser le cou de la femme. Depuis toujours et encore actuellement, il a 4 lacets – deux en haut et deux en bas, comme dit précédemment. Il est de coutume que les femmes confectionnent et teignent elles-mêmes leurs yêm, qu’elles rangeront dans un endroit discret. Ce qui n’empêche pas le troublant morceau de tissu d’être la star parfois très suggestive de chansons populaires. En particulier “thuyen ai mac can len day, muon doi dai yem lam day keo thuyen” (ma barque vient d’accrocher un haut fond, veux-tu me prêter les bretelles de ton ao yem pour la tirer pour de bon) dont on ne traduira pas ici les paroles très… poétiques. Autrefois, quand les filles sortaient avec leurs proches, elles glissaient (par superstition ?) un morceau de bétel dans leur yêm, les gens parlaient alors de « "khẩu trầu dải yếm », corsage à bande de bétel.

Ao yem, une tenue de tous les jours

ao-yem_campagneOmniprésent dans la vie de toutes les femmes, il ne quittait pas les paysannes qui travaillaient dans les rizières, tout comme il accompagnait les jeunes femmes vêtues de la longue veste à quatre pans (ao tu thân en vietnamien) lors des jours de fête. Dans la vie de tous les jours, au travail, les hommes et les femmes portent traditionnellement la veste courte, avec deux poches en bas, fendue ou non sur les côtés, appelée ao canh au Nord et ao ba ba au sud. Ouverte sur le devant, elle a des boutons, mais les femmes, pour avoir moins chaud – et aussi par coquetterie, il faut bien le dire - ont l’habitude de ne pas la boutonner car elles ont le yêm en dessous.

L’ao yêm se déclinait en plusieurs couleurs, ce qui par ailleurs donnait des indications sur l’origine sociale de celle qui le portait. Ainsi, les ouvrières ou les villageoises portaient un yêm en coton de couleur brune ou taupe, les femmes âgées préférant les tons sombres. Les citadines avaient plutôt une attirance pour le blanc, le violet ou le rouge pour les occasions festives, les jeunes filles, tout comme les filles d’un nouveau mandarin aimaient bien le rose ou les couleurs vives. Des couleurs au service de l’élégance qui n’ont pas manqué d’inspirer de nombreux poètes et jusqu’aux colons français qui ne manquèrent pas de remarquer – à l’instar du Dr Hocquard (un médecin militaire ‘connu pour ses photos de l’Indochine) : « Il n'y a qu'un simple morceau de tissu devant la poitrine, mais cela fait réfléchir les hommes, surtout lorsque les filles sont lâchement attachées à la taille ». Il existait a Thang Long – Hanoi un marché spécialisé dans la vente de yêms en soie appelés "Ao Yem charmants de Dong Lac" dans les quartiers de Dong Lac et de Dai Loi, district de Tien Tuc, dans Tho Xuong (aujourd'hui maison communale de Dong Lac au 38 rue Hang Dao). Aussi important que le maquillage, le yêm de la citadine se portait cependant discrètement, contrairement à la villageoise qui pouvait le montrer sans provoquer un gène quelconque parmi la gent masculine. Dans les villes, les femmes ont porté le yêm jusque dans les années 1930.

L’ao yem de nos jours

Dès les années 1950, le soutien-gorge à l’occidental a pris la place de l’ao yêm, sauf chez certaines femmes âgées. Remanié, il se fera brassière à deux bretelles pour les jeunes filles. Mais il serait faux de le croire mort ! On ne va pas nier que l’ao yêm ne tient plus une place aussi importante dans l’habillement des femmes qu’auparavant, cependant il faut souligner que les stylistes vietnamiens s’évertuent à préserver ce patrimoine vestimentaire en insufflant un vent nouveau. Appréciée pour ses valeurs culturelles et artistiques, il est toujours porté à l’occasion de fêtes, en accompagnement d'autres vêtements traditionnels, avec un enthousiasme qui ne s’éteint pas. Vous aurez certainement l’occasion de vous en rendre compte lors d’un séjour au Vietnam !

Et quelle que soit sa forme, l’ao yêm demeurera d’une troublante beauté, soulignant la discrète féminité des Vietnamiennes.

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