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Ao Dai, histoire d’une icône vietnamienne

Plus qu’un simple vêtement, l’Ao dai (prononcez : ao zai) est devenu l’emblème du Vietnam, un symbole culturel et identitaire. Sous l’apparente fragilité féminine, ce cache l’âme d’un peuple et de son histoire.

 

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Ao dai, une histoire politique

ao_giao-lanhPorté aujourd’hui presque uniquement dans les grandes occasions, il n’est pourtant pas rare de croiser dans la rue des femmes portant l’Ao dai, en particulier par les étudiantes. Cet élégant costume semble atemporel, comme un symbole féminin qui aurait traversé les ans. La tunique longue – signification du terme « Ao dai » - que l’on porte de nos jours a cependant été dessinée dans les années 1930, une étape de plus sur la longue histoire de ce vêtement né courant du 18ème, dont le lointain ancêtre descendrait des blouses chinoises.

La toute première version était une chemise 4 pans dont on a trouvé trace dans les gravures sur des tambours de bronze datés de plusieurs milliers d’années. Plus récemment, ce qui est considéré comme le tout premier ancêtre de l’Ao dai était Ao giao lanh y (ou Ao Giao Linh), une tenue à 4 pans dont deux croisés sur le devant. Ce costume traditionnel a été porté jusque sous la dynastie des Nguyen, avec entre-temps une évolution en Ao tu than, à 4 pans également, mais plus courts, plus adaptés pour le travail aux champs. Tenue des paysannes Ao tu than était principalement de couleur sombre, sauf celui revêtu pour les grandes occasions : sur un Ao yem (cache-sein), une tunique 4 pans – 2 pans cousus à l’arrière et deux pans libres sur le devant – couvre une jupe (vay) ; une ceinture de soie est nouée à la taille. Devenu obsolète avec l’arrivée de l’Ao dai moderne, Ao tu than se porte encore volontiers lors d’évènements folkloriques ou dans des festivals, surtout dans le Nord du Pays. Oubliant le côté sombre des années passées, il se pare désormais de couleurs vives sur le corsage, la jupe et la tunique en elle-même.

Nous sommes en 1744. Nguyen Phuoc Khoat, 8ème seigneur héréditaire Nguyen de son état, chef du Dang Trong, c'est-à-dire du Centre Vietnam actuel (le Sud d’alors), eut vent d’une prédiction désastreuse pour son pouvoir. Celle-ci prophétisait : « Au bout de huit périodes, retour sera fait à Trung Do », Trung Do désignant la capitale impériale Thang Long, aujourd’hui Ha Noi. Réelle prédiction ou intox des Trinh du Nord qui n’avaient qu’en tête la chute des Nguyen du Sud ? Toujours-il que le Sieur Khoat, (qui se fera connaitre plus tard sous le nom de Vo Vuong), ayant décompté 7 ancêtres successifs avant lui, convoqua le ban et l’arrière-ban de ses mandarins pour une session de brain storming (on vous l’accorde, le terme est anachronique, mais il est parlant, n’est-ce pas ?). Aussi surprenant que cela puisse paraitre, c’est de cette concertation qu’est né l’Ao Dai ! Explications :
Sous des apparences de relative soumission au pouvoir impérial des Le (mais en fait, c’est les Trinh qui étaient aux commandes), le Sud avait fait complète sécession et c’est ce qu’il fallait prouver avant que la prédiction ait quelque chance de s’avérer. Et donc, il fallait se démarquer, tout changer pour montrer sa différence, à commencer par les structures administratives. Ni une ni deux, un beau matin de l’an de grâce 1744, le Sud (qui est aujourd’hui le Centre), sous le pouvoir des Nguyen depuis plus d’un siècle, se réveille sous le titre de Vuong Quoc – Royaume, en référence au Nord avec ses princes Trinh. Dans la foulée, Nguyen Phuoc Khoat fait établir un sceau royal et meme temps qu’il fait changer les expressions administratives pour qu’elles soient adaptées au nouveau statut du Royaume tout neuf : par exemple phu, la résidence princière devient Dien, le palais. Nouvelle musique de cour, nouvelles procédures gouvernementales, nouveau code civil, bref, il fallait créer une autre culture. Les vêtements aussi devaient suivre cette transformation. Exit Ao Ao tu than, voici Ao dai ! Khoat décrète le port du pantalon féminin à boutons, probablement en s’inspirant des tenues Cham, mais garde la tunique 4 pans qui vient par-dessus le pantalon. Cette tenue sera portée aussi bien par les femmes que par les hommes. D’une action politique est né un costume qui deviendra traditionnel…

Sous le règne de « Nguyen Anh » dit Gia Long (1802-1819), le costume se répand (presque) uniformément du Nord au Sud, dans un Vietnam réunifié. Les minorités du Nord auront cependant une nette tendance à ne pas faire comme tout le monde en préférant garder le port de la jupe plutôt que le pantalon. C’est aussi la période ou l’Ao dai se pare d’un cinquième pan, au but avoué de différencier les familles de sang royal et les mandarins des autres avec leurs pauvre quatre pans ballants. Il prendra alors le nom de Ao ngu than  - ngu en sino-vietnamien signifiant « cinq ». Les femmes affichaient leurs richesses en mettant plusieurs couches de tissus, si possible les plus couteux.

Au fil du temps, les 2 pans du devant et leurs jumeaux de derrière, initialement libres, sont cousus pour donner finalement un pan avant unique et un pan arrière tout aussi unique, donnant à ce 20ème siècle naissant sa forme quasi définitive à l’Ao dai tel qu’on le connait aujourd’hui. Le 14 février 1820, Nguyen Phuc Dam succède à Gia Long sous le nom de Minh Mang. Celui-ci ordonne d'unifier le costume du Nord et du Sud et la tenue des grands soirs devient le costume national.

 


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Ao dai, une histoire moderne

ao-dai_lemurAu 20ème siècle, la tunique traditionnelle commence à s’inspirer de la mode européenne, évoluant de plus en plus vers l’Ao dai d’aujourd’hui. Entre 1910 et 1930, la tenue est toujours portée assez ample et lâche, elle fait de la place aux colliers ostentatoires sur un Ao yem généralement blanc (Les femmes vietnamienne de cette époque ne connaissaient pas le soutien-gorge). La tunique tombe jusqu’à une vingtaine de centimètres des chevilles.
Les années 1930-1940 marquent une étape importante dans l’évolution de l’Ao dai. Au début des années 30, la France inaugure le Collège des beaux-arts d'Indochine (Aujourd’hui Université des Beaux-Arts de Hanoi). Ce vénérable établissement accueillera – entre autres -  le peintre Nguyen Cat Tuong qui sera connu sous le nom de Lemur ou Le Mur (tradition littérale de Tuong). Diplômé de l'American College, il sera responsable technique de l’établissement entre 1928 et 1933 et va redessiner l’Ao dai en suivant une devise toute personnelle : "Bien que les vêtements recouvrent le corps, il s’agit d’un miroir extérieur qui reflète le niveau et les connaissances d’un pays." Dans le journal "Phong Phong" n ° 86 du 23 février 1934, intitulé "Vêtements pour femmes", il confiait : «À quoi devraient ressembler les vêtements des filles? Tout d'abord, il doit être adapté au climat de notre pays, à la météo des saisons, au travail, au cadre, à la taille du corps de chacun, après cela, il doit être net, simple, solide et avoir beaux-arts et courtoisie. Mais quoi qu'il en soit, il doit aussi avoir sa propre personnalité. Vous êtes des femmes vietnamiennes, vos chemises doivent donc avoir un look unique afin que les autres ne vous prennent pas pour des femmes étrangères...».
Le résultat se présentait sous la forme d’une nouvelle tunique, sorte de fusion du style moderne et traditionnel, faite de deux pans cousus ensemble et surmontée d’un col.  La taille était peu marquée, le col, les boutons et les manches de style occidental. Raccourci au mollet, l’Ao dai Lemur se rapproche du corps, remplace la camisole ao yem par la brassière française. Un scandale pour l’époque, qui ne concevait pas qu’une femme puisse ainsi montrer outrageusement ses formes.  L'Ao dai "Le Mur" était généralement porté avec un pantalon blanc (Comble de l’offense puisque normalement réservé aux hommes) ou associé à un sac à main ou à un parapluie, peut-être pour donner bonne figure. Officiellement présenté en 1934, il est basé sur le costume à 3 pans, avec des couleurs douces et lumineuses, s’éloignant des tons sombres habituels. Le style général donne une impression d’esthétique européenne tout en gardant une forte personnalité vietnamienne. Lemur aura rendu l’Ao dai glam’ et chic, le génie de Tuong ayant été sa façon de voir et concevoir le vêtement féminin. Quatre ans plus tard, un autre peintre, du nom de Lê Pho, supprime les manches bouffantes, ferme l’encolure, s’inspire fortement de l’Ao tu than, tout en rapprochant le tout du corps.
A partir des années 1940, sous l’effet de la lente émancipation de la femme vietnamienne, l’Ao dai se rapproche peu à peu du corps, jusqu’à épouser sa partie supérieure, affolant la morale et le regard des hommes. Le pantalon, lui reste flottant, devenant presque aérien en contraste avec le haut. Les années 1950-60 vont voir une offensive orchestrée par Mme Tran Le Xuan, épouse de Ngo Dinh Nhu, pour imposer l’absence de col. De montant, celui-ci devient col rond ou col bateau. Si à l’epoque cette mini révolution a fait scandale, les Ao dai avec col bateau sont aujourd’hui appréciés pour leur confort par grosses chaleurs tropicales. C’est aussi la période qui voit les régions se différencier dans le port de l’Ao dai. Ainsi, dans le Sud les femmes préfèrent les couleurs sombres, alors qu’au Nord, elles choisiront des teintes plus vives et des matériaux plus doux. Dans le Centre, fortement marqué par le rayonnement impérial de la cité de Hue, c’est le pourpre qui domine. Les différences ne sont pas fondamentales, mais ici on portera plus court, là le tissu sera  diffèrent… Toujours est-il que toutes ces histoires restent entre femmes, l’Ao dai pour hommes tombe dans l’oubli, ou presque.



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Les années 1950 vont être politiques pour l’Ao dai ou en tout cas pour le port de celui-ci. A partir de 1954, suite aux accords de Genève, le Pays est divisé en deux : le Nord, sous gouvernement communiste et le Sud, sous la République de Bao Dai, rapidement remplacé par Ngo Dinh Diem. Au Nord, classé vêtement réactionnaire, bourgeois et emblème du colonialisme, l’Ao dai tombe en disgrâce, alors qu’il est toujours porté par les femmes du Sud. Peut-être ne faut-il voir là qu’une tentative bien maladroite de cacher la pénurie économique – et donc de tissu – qui régnait à cette époque. En 1960, Tran Le Xuan, la belle-sœur du président Ngo Dinh Diem et Première dame de la République du Vietnam puisque le président était célibataire, fait scandale : elle supprime le col de ce qu’on appellera l’Ao dai Le Truan, laissant apparaitre la base du cou. Horreur et décadence ! Ce qui n’empêchera pas ce détail vestimentaire de vanter la confiance en soi et la libération de la femme saïgonnaise (et fortunée). Puis, suivant en cela les hippies et l’évolution de la mini-jupe, l’Ao dai se voit raccourci au-dessus des genoux, ce ne sera finalement qu’un effet de mode avec ses pantalons ultra-larges. Seul reste de cette époque le petit triangle de chair apparente, au-dessus de la taille, autre sujet d’émois masculins et de critiques moralistes de l’époque. L’Ao dai prend sa coupe définitive avec l’arrivée du raglan, qui permet une emmanchure d’un seul tenant grâce à une unique couture allant des aisselles à la clavicule, facilitant ainsi les mouvements de celle qui le porte. Le désormais célèbre costume ne changera plus en profondeur, seuls les motifs décoratifs évolueront au gré des inspirations des créateurs de mode, ainsi les textures et matières.

Epousant les courants culturels modernes, l’Ao dai suit les changements, les évolutions de la femme, décline à l’infini l’éternel féminin tout en s’inscrivant dans l’âme de la Nation. Perpétuelle source d’inspiration, son histoire est loin d’être terminée. Et l’Ao dai masculin ? demanderez-vous. Sans avoir la célébrité et la popularité de son alter ego féminin, il n’a pas dit son dernier mot lui non plus et refait régulièrement une apparition certes discrète mais toujours élégante et remarquée lors des grandes occasions familiales ou festivités publiques.  

Quelle surprenante et belle destinée pour un vêtement créé en 1774 pour des raisons politiques ! Au fait, savez-vous à qui l’on doit le terme « Ao dai » ? Au célèbre lettré Lê Quy Don, qui le mentionne dans son ouvrage « Phủ Biên Tập Lục », en 1775.

 


Pour aller plus loin, lors de votre prochain séjour au Vietnam, nous vous conseillons deux visites :
A HCM-ville : Musée de Ao dai (jardin Long Thuân, 9e arrondissement, Ho Chi Minh-ville). Dans un décor bucolique, 20 000 m2 dédiés à la fascinante histoire de l’Ao dai au cours des siècles. Plus de 60 différents modèles d’ Ao dai y sont exposés, dont des Ao dai de la famille royale, de femmes politiques ou encore d’artistes.

Hanoi : Musée de la Femme Vietnamienne (36 Lý Thường Kiệt, Hàng Bài, Hoàn Kiếm, Hà Nội). Cet elegant batiment situe non loin du lac de l’epee restituee, en cœur de ville, propose à la visite un ensemble remarquable de patrimoine matériel et immatériel mettant à l’honneur les femmes vietnamiennes à travers les époques. Son dernier étage est dédié aux costumes des 54 ethnies du Vietnam, dont certains très beaux Ao dai.


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