La culte aux ancêtres repose sur la conviction que l’âme du défunt survit après la mort et protège sa descendance. Ce rite ancestral existait bien avant l’arrivée du bouddhisme, du taoïsme et du confucianisme. Ce n’est qu’au fil de longues années, que la pratique religieuse vietnamienne a intégré différents courants dans un syncrétisme remarquable. Il est d’ailleurs très courant pour un Vietnamien de rendre un culte à ses ancêtres, suivre les règles confucéennes, prier Bouddha à la pagode et invoquer un génie au temple.
Comprendre les fondements de la culture vietnamienne
On ne peut pleinement saisir la culture vietnamienne et son organisation si on ne prend pas en compte l’existence d’un monde invisible mais pourtant présent dans le quotidien de tous : la terre est peuplée de gens vivants, mais aussi d’innombrables esprits et génies, certains bienveillants, d’autres nettement moins. Les ancêtres font partie des esprits bienveillants qu’il est nécessaire de vénérer – tout comme les génies bienfaisant – afin de s’attirer bonheur et prospérité. Il est tout aussi nécessaire de se protéger des entités malfaisantes, par toutes sortes d’amulettes, croyances et pratiques plus ou moins superstitieuses. La présence des génies est matérialisée par un petit pagodon où l’on dépose des offrandes et des bâtons d’encens, rite bien à ne pas confondre avec celui du culte des ancêtres.
« Quand tu bois de l’eau, pense à sa source »
La cellule primordiale, le socle fondamental sur lequel repose toute la société vietnamienne est la famille. Chacune aura chez elle un autel dont la fonction est d’assurer le souvenir des ancêtres jusqu’à la quatrième génération. Ce culte, appelé tín ngưỡng thờ cúng tổ tiên en vietnamien, remonte à la culture Dong Son (Ier millénaire av. J.-C.), voire – selon certains experts - à la culture pré-Dong Son. Il a pour but « de perpétuer un complexe émotionnel aussi intense que possible, liant d’une façon indissoluble les vivants et les morts d’un même clan. Il a pour objet l’entretien des tombes, mais surtout le culte qui doit être rendu dans le temple familial aux tablettes des quatre générations ascendantes » (professeurs Huard et Durand de l’Ecole française d’Extrême-Orient). Quatre générations d’une même lignée (le clan) se regroupent dans 4 tablettes, les plus anciennes étant enterrées au fur et à mesure sous le temple.
Pour les Vietnamiens, chaque personne est constituée de deux parties : le corps et l’âme. Au décès, l’âme quitte le corps – inerte – et va rejoindre le monde des esprits. Cette âme, devenue esprit, devient dès lors un guide, un médiateur, un protecteur du clan des vivants, sans qu’il y ait de véritable séparation entre les deux mondes. Si quelqu’un meurt sans laisser de descendants, il n’aura pas d’autel pour revenir parmi les vivants et son âme sera condamnée à une errance éternelle. Cette situation est vécue comme une malédiction, à laquelle on peut échapper en adoptant un enfant ou bien faire don de son patrimoine à des pagodes, à des temples communaux qui assureront en contrepartie un culte posthume.
Depuis Confucius, le culte aux ancêtres présente 3 niveaux : état, village et famille. Les Vietnamiens honorent donc en premier ceux qui ont œuvré pour le bien de la Patrie. Ce peut être un être mythologique, un général vainqueur des envahisseurs ou même le Président Ho Chi Minh ou Alexandre Yersin. Au niveau du village, on vénère le génie tutélaire, souvent celui qui a permis aux habitants d’être passés maitre dans un artisanat reconnu. Et enfin, on rendra hommage aux a
ncêtres disparus : le trisaïeul et sa femme, le bisaïeul et sa femme, l’aïeul et l’aïeule, le père et la mère. Notons aussi que le respect des aînés constitue une attitude permanente et transparaît de manière évidente dans la langue vietnamienne. En effet, il n’existe pas à proprement parler de pronom personnel : toute personne se désigne et s’adresse aux autres de façon différente selon sa position sociale et familiale et selon son âge (même au sein du couple).
L’autel et les rites
L’autel des ancêtres
Pratiquement toutes les familles vietnamiennes possèdent un autel dédié aux ancêtres, de taille variable selon la condition financière de chacun. Il occupe systématiquement le cœur de la maison, le plus propre et le plus soigné : dans la travée principale dans les maisons traditionnelles de village, parfois dans une pièce réservée au dernier étage des grandes maisons urbaines. Orienté idéalement au Sud ou à l’Ouest, il sera de toute façon surélevé et portera les tablettes ancestrales, les photos des disparus, un ou plusieurs bols pour les baguettes d’encens, deux bouquets de fleurs et deux chandeliers (représentant le soleil et la lune). Traditionnellement, ce sont 3 bols à encens qui se répartissent comme suit : un milieu, le plus haut et le plus grand pour Bouddha (ou Jésus, ou la vierge Marie…), avec à ses côtés, un pour les génies du foyer et l’autre pour les ancêtres. Généralement, on dépose aussi deux assiettes pour les offrandes favorites des défunts et des coupelles d’alcool de riz. Dans cette civilisation du riz inondé, il n’est rien de plus précieux - après la terre – que l’eau. Une tasse d’eau claire sera donc impérativement placée sur l’autel. Comme il n’y a pas de différences entre le monde dans lequel nous vivons (Yang) et le monde des morts (Yin), on présente en offrandes aux ancêtres des choses matérielles : nourriture, gâteaux secs, de l’argent de papier (qu’on appelle Vang ma)... Toutes les grandes décisions sont prises devant ce reposoir, comme par exemple la décision d’un mariage, la construction d’une maison… On présentera aussi le nouveau-né aux ancêtres, car ces derniers participent encore à la vie des vivants, heureux quand ils sont heureux, tristes quand ils ont de la douleur.
Les rites du culte aux ancêtres
Il faut bien comprendre que le culte aux ancêtres n’est pas à proprement parler une religion, au sens occidental du terme. Il s’agit plutôt d’un ensemble de croyances réalisées dans la pratique de rituels reliant chaque individu à sa parenté, que celle-ci soit encore vivante ou qu’elle appartienne à des ancêtres lointains aujourd’hui décédés. Rappelons que le fondement moral du culte aux ancêtres est la piété filiale, ce qui se réfère donc plutôt à une éthique, un devoir à la fois familial et social, dans le respect du passé et l’espoir dans l’avenir, pour toujours se souvenir de la source quand on en boit l’eau.
La mort est célébrée en plusieurs étapes :
- On rend un culte le 3ème jour à partir de la date de décès,
- Puis un autre le 49ème jour,
- Et enfin, on célèbre la 1ère année anniversaire de la mort du parent.
Après la combustion des baguettes d’encens, on brûle le papier votif et on verse la petite tasse d’alcool ou d’eau sur les braises. C’est ainsi que les morts reçoivent leurs présents dans l’au-delà. Les flammes et la fumée s’élèvent dans le ciel, l’alcool liquide se mélange au feu pour imprégner la terre, dans une alchimie bien plus mystique qu’on pourrait le supposer au premier abord, celle de l’osmose feu-eau (Yin-Yang) et ciel-terre-eau (“Les Trois pouvoirs”).
Des dates-clef rythment les hommages aux ancêtres : aux premiers et au 15ème jours du mois lunaire, pour les rituels habituels respectant ainsi la doctrine bouddhique qui veut que ces jours soient réservés à Bouddha. A ces dates, on se rend donc dans les pagodes mais on allumera aussi l’encens, on se prosternera et on présentera des offrandes devant l’autel des ancêtres. Selon l’astrologie traditionnelle, le destin de chaque personne est influencé par une étoile en particulier. C’est pourquoi le 15ème de chaque mois, on rend un culte à sa bonne étoile devant l’autel. Certaines grandes fêtes de l’année lunaire sont plus particulièrement tournées vers l’hommage aux ancêtres : la fête des tombeaux au 3 ème mois, Tet Doan Ngo au 5 ème mois, la fête de la Mi- Automne au 8ème et bien entendu lors du Têt du Nouvel An lunaire, célébration la plus importante de l’année. Ce sont des occasions pour les familles d’organiser des festivités, d’inviter leurs proches à venir commémorer les ancêtres et dans le même temps, de se rendre visite, d’échanger des nouvelles, de partager les joies et les peines.
Le culte aux ancêtres, demain et après-demain
D’une dimension à la fois spirituelle (les rapports à l’au-delà), biologique (le clan, sa mémoire et son maintien) et sociale (rites et pratiques cérémonielles), le culte rendu aux ancêtres - dans une époque moderne qui se tourne de plus en plus vers un matérialisme à l’occidental - permet de (re) trouver l’essence même de la morale vietnamienne. Planche de salut pour Huu Ngoc (Un érudit renommé) dans une époque de mutations et de bouleversement en tous genres, le culte des ancêtres est toujours d’actualité : devoir de mémoire, devoir de chaque vietnamien à protéger et défendre non seulement sa culture et ses traditions, mais aussi et surtout son identité, au-delà des âges. Et enfin, plus prosaïquement, c’est aussi pour les familles l’occasion de bien éduquer leurs enfants en valorisant les bonnes actions des générations précédentes, d’inciter les jeunes à suivre les exemples vertueux des aïeux et de perpétuer les bonnes traditions de la famille.
Pour découvrir d’autres traditions, d’autres rites ou festivités, contactez une agence locale francophone !
Commentaires
Avez- vous besoin d'autres renseignements ? Veuillez laisser vos commentaires ici.